La Reprographie : quo vadis, Monsieur le legislateur? | ||
25/05/2016 | Tweeter | |
Dans chaque entreprise, dans chaque établissement d’enseignement et dans chaque service public que vous fréquentez, vous voyez plusieurs copieurs et plusieurs imprimantes. Vous entrez dans n’importe quelle bibliothèque universitaire et vous voyez des étudiants faire de gros volumes de photocopies et d’impressions d’œuvres protégées par le droit d’auteur. On veut malgré tout vous faire croire que le monde actuel est devenu entièrement numérique et que les reproductions papier ne sont qu’une relique d’un lointain passé.
Vous entendez dire que l’organisation (Reprobel) qui perçoit pour vous la rémunération de reprographie, percevrait trop en comparaison avec l’étranger. Vous prenez la peine de vérifier et vous lisez dans ses rapports annuels que Reprobel a perçu ces trois dernières années en moyenne 23 millions EUR par an en provenance de la reprographie. Vous faites une petite addition : cela fait 2 EUR par Belge, c-à-d. le prix d’un verre de coca dans un café. Vous constatez qu’aux Pays-Bas, Stichting Reprorecht et Stichting PRO ont perçu 1,85 EUR par habitant, mais que, à côté de cela, on a également perçu, toujours aux Pays-Bas, 12 millions EUR de rémunérations pour prêt public en faveur des auteurs et des éditeurs, alors qu’en Belgique, on perçoit environ un sixième de ce montant. Vous vérifiez encore malgré tout ce montant, car la Belgique a déjà été condamnée à deux reprises par la Cour de Justice de l’UE pour ce qui concerne sa rémunération de prêt public.
Vous entendez également le secteur de l’enseignement se lamenter sans cesse qu’il paie trop pour ses rémunérations de reprographie. Vous vérifiez à nouveau les chiffres et vous constatez que les perceptions de Reprobel dans l’enseignement maternel, primaire et secondaire sont en ligne avec celles de l’étranger mais, par contre, qu’on perçoit en Belgique 2 EUR par étudiant dans l’enseignement supérieur alors que dans nos pays voisins, on perçoit en moyenne 6 EUR (hautes écoles) et 13 EUR (universités) par étudiant. Vous lisez dans le journal que les Hautes écoles flamandes ont récemment exigé pour leur financement 7.000 EUR par étudiant et vous comparez cela avec les quelques euros par étudiant dont on parle dans le dossier Reprographie. Vous vous frottez les yeux de stupeur.
Ces derniers mois, vos représentants ont mis sur la table plusieurs études qui cartographient de manière objective et détaillée le volume de reproductions sur le territoire belge ainsi que le préjudice qui en découle pour les auteurs et les éditeurs. Ces études sont invariablement labélisées comme “politiquement sensibles” et même “non appréciées” mais vous constatez que vous êtes le seul à avoir mis des études sur la table et que, pour le reste, le débat est mené surtout en termes émotionnels.
Vous entendez les importateurs d’appareils de reproduction prétendre – sans même sourciller – que la rémunération de reprographie sur les appareils de reproduction en Belgique atteindrait des sommets. Vous vérifiez malgré tout la hauteur de ces sommets et il s’avère qu’en moyenne une rémunération de 6 à 7 EUR est payée à Reprobel par appareil à jet d’encre (sachant qu’en Allemagne, cette rémunération pour des appareils similaires s’élève au minimum à 12 EUR). Vous vérifiez également le prix des cartouches d’encre et vous arrivez à la conclusion que le remplacement des cartouches est souvent aussi onéreux que l’achat de l’appareil. Vous entendez qu’il existe des plans politiques pour supprimer ou du moins sérieusement revoir à la baisse la rémunération sur les appareils, et vous savez que cela peut coûter chaque année 10 millions EUR aux auteurs et aux éditeurs. Vous vous arrachez les cheveux.
Vous travaillez en bonne entente et en étroite symbiose avec votre éditeur. Vous ne pouvez rien faire sans lui, il ne peut rien faire sans vous. Sans vous et sans votre éditeur, il n’y aurait tout simplement plus rien à copier et à imprimer. Vous entendez qu’il existe des plans pour abandonner la répartition actuelle 50/50 entre l’auteur et l’éditeur en matière de reprographie, alors que vous êtes tous les deux d’accord pour dire qu’il s’agit d’une clé de répartition équitable. Vous entendez même qu’il y aurait des plans pour ne plus rémunérer l’éditeur pour les autres licences légales. La pilule est amère car vous savez, en tant qu’auteur, que la situation n’en sera pas nécessairement meilleure pour vous à la fin.
Finalement, vous jetez également un coup d’œil à votre porte-monnaie. En tant qu’auteur, vous recevez en moyenne chaque année entre 250 EUR et 1.500 EUR en provenance de la reprographie. Pour vous, cela représente une importante source de revenus complémentaires. Pourtant, vous entendez que certains disent que l’argent « resterait dans les poches des sociétés de gestion ». Vous constatez en outre que, selon le droit européen, la réglementation belge de reprographie aurait déjà dû être étendue depuis 2002 aux impressions et que vous attendez déjà depuis 1998 et 2005 une rémunération pour les usages numériques dans l’enseignement, une rémunération qui est pourtant prévue dans la loi. Non seulement vous comptez l’argent que vous recevez mais aussi celui que vous avez perdu.
Vous savez également que le secteur de l’édition représente 0,7 % du PIB belge et qu’il est encore fortement ancré localement, avec de nombreuses PME qui offrent du travail en Belgique à au moins 40.000 travailleurs à temps plein. Vous voyez cependant que les intérêts de votre secteur s’opposent aux intérêts des multinationales ayant leur siège social au Japon ou aux USA et disposant de moyens importants de lobbying.
C’est la raison pour laquelle vous prenez la plume et écrivez cette lettre ouverte. Mesdames et Messieurs les politiciens (au sein du Conseil des Ministres et du Parlement fédéral) : quo vadis avec la reprographie? Allez-vous déposséder les auteurs de leurs droits et les laisser sans rien ? Ou allez-vous actualiser la rémunération de reprographie en maintenant une rémunération suffisante pour les auteurs et les éditeurs? P ar le biais d’une nouvelle réglementation qui concilie les bonnes choses du système actuel avec les intérêts des utilisateurs - 11 millions de Belges et tous les secteurs professionnels qui continuent à bénéficier de la réglementation de reprographie - et qui continue à investir au maximum dans la facilité d’utilisation et la sécurité juridique.
A vous de choisir. Les auteurs, et avec eux, les éditeurs, comptent sur vous. "